Jean-Paul Zé Bella : Le militaire du Cameroun devenu une icône planétaire de la musique

L’une des icônes majeures de la scène musicale au Cameroun, Jean-Paul Zé Bella, s’est éteint le 15 janvier à l’âge de 71 ans des suites d’une lutte contre le cancer. Cet artiste polyvalent, à la fois chanteur et batteur, fut l’un des membres fondateurs du groupe Zangalewa, avec lequel il a parcouru un long chemin jusqu’à sa retraite de l’armée. Son empreinte dans la culture populaire camerounaise est indélébile, et même lorsque la maladie a frappé, il a continué à faire résonner sa musique. Son parcours, qui débuta humblement en tant que simple soldat pour finalement influencer le monde entier avec le hit planétaire “Waka Waka”, est véritablement remarquable. Lyombe Eko, professeur de communication, nous a offert un éclairage précieux sur la vie et l’œuvre de Zé Bella.

Voici une image captivante de Jean-Paul Zé Bella.

Quel était l’identité de Jean-Paul Zé Bella ?

Jean-Paul Zé Bella était un artiste aux talents éclectiques. Il excellait dans la composition, l’interprétation vocale, la percussion, la danse et la poésie. Son parcours était singulier, mêlant musique et engagement militaire. En tant que soldat, il divertissait les foules au Cameroun et à l’étranger en tournant en dérision l’armée à travers ses chansons satiriques et ses caricatures humoristiques des hommes en uniforme.

Quelle est la trace qu’il laisse derrière lui ?

Zé Bella et Zangalewa émergent comme des figures culturelles éminentes au Cameroun, incarnant une singularité sans égale. Leur présence incarne une version africaine du “bouffon royal”. Bien que le gouvernement autoritaire du Cameroun ait accordé une liberté totale aux Zangalewa pour divertir, espérant ainsi adoucir l’image sévère et impitoyable de l’armée, ils ont évolué en des soldats souffrants qui communiquaient dans le langage du peuple.

Les Zangalewa entretenaient une connivence particulière avec leur public. Ils ont glissé des critiques subtiles dans leur musique, échappant ainsi à la compréhension des hauts gradés militaires. Ils ont laissé une empreinte indélébile sur la scène musicale du Cameroun en tant qu’artistes maîtres de la caricature et de la parodie, maniant un humour et une exagération que le commun des mortels pouvait saisir en “déchiffrant” les subtilités de leurs paroles.

Qu’est-il advenu de lui pendant son service militaire ?

Zé Bella, ayant été enrôlé dans les rangs de l’armée, a rejoint la formation musicale de la gendarmerie nationale au cours des années 1970. Sa maîtrise de la batterie au sein de la fanfare militaire lui a valu une promotion au sein du corps musical de la Garde Républicaine, l’unité d’élite du premier président camerounais, Ahmadou Ahidjo.

Ahidjo a cédé le pouvoir à Paul Biya en 1982, inaugurant ainsi son règne présidentiel continu depuis lors. https://newstop.africa/naija-funk-le-nouveau-single-explosif-dazanti-psychoyp/ ‘arrivée de Biya au pouvoir a marqué un tournant sombre. En 1984, la Garde républicaine, majoritairement originaire du fief d’Ahidjo dans le nord du Cameroun, a mené un coup d’État infructueux pour renverser Biya. La rébellion a été brutalement réprimée. La Garde républicaine a été démantelée, ses membres suspectés d’implication dans le coup d’État ont été exécutés et leurs corps enfouis dans des fosses communes, tandis que d’autres ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement. Notamment, Zé Bella n’a pas été associé à cette tentative de coup d’État.

À quel moment a-t-il fondé les Sons Dorés ?

Après la tentative de coup d’État, Biya a sollicité le concours du gouvernement français pour ériger une nouvelle entité sécuritaire au service de la présidence. Ainsi naquit la Garde présidentielle du Cameroun, dont Zé Bella devint membre au sein de son corps musical. Vers 1986, Zé Bella et ses camarades prirent l’initiative de réhumaniser l’armée camerounaise, réputée pour sa brutale rigueur et pour sa justice militaire impitoyable envers les dissidents civils. C’est alors que naquit The Golden Sounds. Leurs mélodies, bien loin d’être dorées, amalgamaient des airs tantôt humoristiques, tantôt satiriques, puisant dans la tradition scout et militaire, toujours teintés d’une ironie légère qui invitait à la danse.

La musique des Golden Sounds est devenue un véritable phénomène culturel. Les compositions makossa du talentueux Zé Bella étaient des pièces d’esprit habiles, des caricatures et des parodies chantées dans le langage vivant de la rue, le camfranglais expressif. C’est un mélange savant de pidgin anglais, de français, de douala, d’ewondo, de bassa et d’autres dialectes camerounais.

Les mélanges de chansons de Zé Bella coulaient doucement et sans effort d’une langue à l’autre, d’une tournure de phrase à l’autre. Zé Bella se présentait comme un marchand de musique offrant au public un échappatoire au sérieux de la vie quotidienne.

Quelle est l’origine de la célèbre chanson à succès Zangalewa ?

Ironiquement, c’est la chaîne de télévision publique étroitement contrôlée par la Cameroon Radio and Television Corporation (CRTV) qui a propulsé Zé Bella et son groupe au rang d’artistes reconnus, d’abord au Cameroun, puis dans d’autres nations africaines et même au-delà. La chanson la plus célèbre des Golden Sounds était “Zangalewa (Le Soldat au Ventre Rond)”. Les producteurs de la CRTV ont juxtaposé les parodies militaires loufoques de Zé Bella et des Golden Sounds avec des séquences de défilés militaires solennels au Cameroun lors de la journée de l’unification nationale. Le résultat était tout simplement hilarant.

Les Sons Dorés ont métamorphosé leur appellation en Zangalewa. Sous la direction de Zé Bella, Zangalewa s’est métamorphosé en un ensemble militaire qui n’entonnait pas les mélodies militaires traditionnelles. C’était une troupe disciplinée qui badinait avec les militaires avec une finesse frôlant le ridicule. Leurs paroles “absurdes” et leurs mises en scène exagérées sur des airs tels que “Zangalewa”, “Caporale Grillé” et “Casque Coloniale” raillaient les soldats corrompus et bedonnants – et même le pays dans son ensemble, pour avoir toujours “endossé” un casque colonial.

« Zangalewa » est une chanson qui a connu un succès retentissant bien au-delà des frontières du Cameroun. La CRTV a transmis une copie au centre d’échange de programmes de l’Union des radios et télévisions nationales d’Afrique à Nairobi, au Kenya, aujourd’hui disparu. « Zangalewa » a été intégré dans une compilation de musique africaine intitulée African Musical Safari et a été diffusé en anglais et en français sur diverses chaînes de télévision à travers le continent africain. La chaîne de télévision allemande ZDF a inclus un extrait de « Zangalewa » dans sa couverture de la Coupe du monde de 1986. Les DJ africains ont introduit « Zangalewa » à la communauté afro-colombienne en Colombie, où la chanson est rapidement devenue populaire dans les bars et discothèques de villes comme Medellin et Carthagène. Il n’est donc pas surprenant que la chanteuse colombienne Shakira ait repris ce titre pour la Coupe du monde de football en Afrique du Sud en 2010.

Sa chanson « Waka Waka », dont le titre signifie « vagabond » en pidgin anglais, était une adaptation de la chanson originale « Zangalewa », un medley de chansons « absurdes » des scouts et des camps d’entraînement militaire, habilement compilées par Zé Bella. Waka Waka est devenue l’hymne du tournoi et a connu un succès mondial.

Lyombe Eko est enseignant en journalisme et en industries créatives des médias à l’Université Texas Tech. Cet article a initialement été publié sur The Conversation.

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